Les éditeurs de jeux vidéo trouvent toujours de nouveaux moyens de rendre leurs jeux rentables. Notamment à travers l'achat de contenus intégrés au jeu. Ces achats peuvent être des skins pour changer l’apparence de leurs personnages, ou bien d'autres choses. Mais depuis 2017, un tout nouveau modèle a fait son apparition : les loot boxes. Le principe est simple, vous achetez des boîtes dont vous ne connaissez pas le contenu et lorsque vous l’ouvrez, vous obtenez un contenu aléatoire. Qu’est-ce qu’une loot box et comment ce principe est né ? Comment un modèle si simple en apparence est devenu un sujet aussi controversé, quelles sont les limites de ce système et quel sera l’avenir de la monétisation ? Nous essaierons d’y répondre dans cet article.
Qu’est-ce qu’une loot box ?
Une loot box ou coffre à butin en bon français, est une microtransaction. Le joueur dépense de l’argent (ou non) pour un coffre dont le contenu est, soit totalement, soit partiellement inconnu. Ces coffres peuvent contenir des items cosmétiques (skin, icônes, emote, pose du personnage, …) ou bien des objets pouvant améliorer l’expérience de jeu voire même le jeu en lui-même. Contrairement à un achat classique, le consommateur ne sait pas ce qu’il achète et ces microtransactions sont conçues pour être infinies.
Maintenant un peu d’histoire : l’idée du coffre à butin remonte à plus de 150 ans maintenant. En 1870, les paquets de cigarettes étaient fragiles et il fallait donc les renforcer. Pour cela, les constructeurs ajoutent des cartes de baseball, et d’autres objets de collection, cela permettant de rigidifier le paquet de cigarettes afin d’éviter que les cigarettes se retrouvent pliées. Mais personne ne connaissait vraiment le contenu “surprise” présent dans ces paquets. Avec ce système, les consommateurs, en plus d’avoir développé une addiction au tabac, ont développé une addiction pour l’achat de ces “pochettes-surprise”. Ainsi l’idée de ne pas savoir quel prix se trouvait à l’intérieur est devenu un motif d’achat pour certains afin qu’ils puissent compléter une collection. Attention, cela n’est pas un système de loot boxes à proprement parlé, il s’agit d’une inspiration pour le modèle des loot boxes.
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Un exemple de l’une des premières cartes à cigarettes livrée avec des paquets de cigarettes, destinée à maintenir les paquets intacts. (source: Dave's Vintage Baseball Cards)
Ce concept s’est démocratisé, et on peut notamment le retrouver dans certains magasins où, à chaque passage en caisse, on pouvait recevoir des paquets de cartes à collectionner en fonction du montant d’achat (exemple : obtention d’un paquet de cartes pour chaque dizaine d’euros dépensé).
Carte à collectionner dans les magasins Carrefour
C’est aussi le concept de nombreux magazines, comme Panini, qui propose d’acheter un livret sur un thème. Ce livret, il faut ensuite le compléter en y ajoutant des autocollants Panini, présents dans des paquets à acheter. Même concept que précédemment, personne ne connaît le contenu de ces paquets. L’objectif derrière cela est de rendre le consommateur addict à l’achat de paquets d’autocollants. On peut aussi mentionner les paquets de cartes Pokemon ou autres, qui contiennent des cartes inconnues avant l’ouverture du paquet. A la suite de ça, tout un système d’échange a été mis en place par la communauté. Dès que quelqu’un a des cartes ou autocollants en double, il l’indique et précise les cartes qu’il lui manque pour qu’il puisse compléter sa collection personnelle.
Au-delà des cartes à collectionner, on peut aussi mentionner les Fukubukuro au Japon. Lors de la période du nouvel an, les commerçants japonais (principalement les magasins de vêtements) remplissent des sacs avec des objets en tout genre (du bracelet jusqu’au T-shirt, voire même de la nourriture). L’objectif derrière est de pouvoir déstocker le magasin des invendus en proposant au consommateur d’acheter le sac à prix unique. L’assurance derrière c’est que le contenu du sac doit avoir une valeur marchande supérieure au prix d’achat.
Tout cela pour expliquer qu’au final, les loot boxes telles qu’on les connaît aujourd’hui ne datent pas d’hier. Le jeu vidéo n’a fait que numériser un système qui existait bien avant son arrivée.
Pourquoi elles sont si populaires ?
Si les loot boxes sont si populaires aujourd’hui dans les jeux vidéo, c’est notamment grâce aux revenus qu’elles génèrent. Acheter une loot box avec un contenu aléatoire revient souvent moins cher aux joueurs que d’acheter directement les items ou bonus de leur choix, ce qui implique qu’ils vont en acheter davantage.
Parlons probabilité en prenant l’exemple du jeu League of Legends. Un coffre hextech classique coûte 125 Riot Points (moins de 3,50 €).
Dans ces coffres, il y a une chance sur deux de trouver un fragment de skin, une chance sur quatre d’obtenir un fragment de champion, une chance sur dix de trouver une emote permanente. Puis 11,5 % ce chance de trouver un fragment de skin de ward et 150 essences orange, 3,5% de chance de trouver un fragment d’icône d’invocateur et 150 essences orange. En plus de tout cela, il y a 3,6% de chance d’obtenir une gemme rare et 10% de chance d’avoir de nouveau un coffre Hextech avec une clé pour l’ouvrir.
Ainsi, en achetant un coffre, le joueur a plus de chances d’obtenir un contenu supérieur à 3€50 dans celui-ci.
Maintenant prenons le jeu Overwatch, les prix d’achat des coffres de butin varient entre 1,99 € et 39,99 €. Dans chaque coffre, le joueur est assuré d’obtenir au moins un item rare ou mieux. Par contre, contrairement au jeu League of Legends, vous avez la possibilité d’obtenir un item épique tous les 5,5 coffres soit 18,5% et un item légendaire tous les 13,5 coffres soit 7,5%. Il faut savoir que les prix des skins sont compris entre 75 et 3000 devises soit entre 1,54 € et 769,40 € !
Prix des coffres de butin dans le jeu Overwatch
Toutefois, en Chine, une règlementation est passée concernant les loot boxes dans les jeux de Blizzard. Les coffres dans Overwatch ou encore les paquets de cartes dans Hearthstones ne peuvent plus être achetés directement. En effet, les joueurs ne recevront désormais plus que des coffres ou des paquets en cadeau supplémentaires lors de l’achat de devises dans Overwatch ou lors de l’achat de poussières dans Hearthstones.
En dehors de tous ces exemples, c’est le même principe sur la majorité des jeux que nous retrouvons aujourd’hui que ce soit Fortnite, Apex Legends, Vainglory, Fifa 19, CS:GO, et bien d’autres principalement sur mobile.
Mais si elles sont aussi populaires ce n’est pas simplement parce qu’elles rapportent de l’argent aux éditeurs de jeux vidéo. Et ce n’est pas non plus parce qu’elles apportent un “avantage” aux joueurs. C’est aussi parce que le spectacle qu’offre l’ouverture des loot boxes est intéressant. L’animation d’ouverture a été étudiée de sorte à ce qu’il y ait un délai pour tenir en haleine le joueur.
Exemple de délai d’animation - Hearthstones
Ce délai minuscule dans la façon dont les récompenses sont dévoilées ajoute ce petit peu d'excitation supplémentaire et fait anticiper et même aspirer aux prix réels. Ce qui rajoute un effet addictif à ce système.
Comment elles deviennent addictives ?
Comme évoqué ci-dessus, l’ouverture d’une loot box offre un spectacle unique qui, en faisant attendre le joueur, crée une montée d’adrénaline et une certaine euphorie. Il suffit de voir le nombre de vidéos faites à propos des ouvertures d’orbes sur League of Legends ou encore les cases opening sur CS:GO.
Mais que se passe-t-il de l’achat à l’ouverture d'une loot box ?
Pour illustrer cela, je vais m’appuyer sur les travaux de Nir Eyal qui est l’auteur de Hooked, un livre mettant en avant un processus en 4 phases qui va encourager l’utilisateur à toujours revenir vers le produit. Étant donné que c’est exactement ce qu’il se passe avec le système de loot boxes, cela me semble pertinent.
Etape 1 : Le déclencheur
Le déclencheur peut-être interne ou externe, il vont déclencher un comportement (ici l’achat d’une loot box).
Si on prend l’exemple du jeu vidéo, les déclencheurs externes peuvent être des notifications reçues sur votre jeu mobile du moment avec une promotion incroyable sur les loot boxes qui se termine dans seulement 12h ! Ou encore un mail reçu de la part de votre jeu favori vous indiquant que pour l’anniversaire du jeu en question, des coffres exceptionnels peuvent être récupérés. Concernant les déclencheurs internes, ils sont un peu plus difficiles à cerner car propres à chacun d’entre nous. Les joueurs ont tendance à se tourner vers le jeu vidéo lorsqu’ils s’ennuient ou sont stressés, ainsi ils seront plus facilement frustrés s’ils viennent à bloquer à un niveau et seront plus susceptibles à payer des loot boxes. Après, les joueurs font aussi ce genre d’achats parce que leurs amis le font, leur streamer favori fait des ouvertures de loot boxes, … C’est ce qu’on appelle la pression du groupe ou encore pression sociale. Les éditeurs ont bien compris qu’en faisant appel à des influenceurs, ils sont capables de jouer sur le besoin du joueur à se conformer au reste de ses pairs. Inconsciemment, la pression sociale nous pousse à faire quelque chose sans avoir recours à une quelconque force physique ou sans nous dicter quoi faire, ainsi on est plus sensibles à acheter des loot boxes parce que notre streamer favori aura fait une vidéo nous donnant envie d’ouvrir à notre tour des coffres.
Étape 2 : L’action
Nir Eyal décrit la phase d'action du modèle Hooked comme étant la quantité minimale de travail dont l'utilisateur a besoin pour obtenir un soulagement. L'action est le comportement qui se fait en prévision d'une récompense. Par exemple, pour les joueurs d'un casino, tout ce qu'ils ont à faire est de tirer un levier pour obtenir leur récompense.
Afin d'augmenter la motivation des joueurs lorsqu'ils commencent un jeu, certains éditeurs ont d'abord fixé les chances de gagner de meilleurs objets à un niveau plus élevé afin de faire croire que les futures loot boxes contiendront également le même niveau de récompenses. Cependant, cela n'est pas soutenable pour le studio et l’éditeur car si les joueurs ne reçoivent que des objets rares, ils seront moins disposés à dépenser de l'argent réel dans le jeu. Pour s'attaquer à ce problème, les jeux moins éthiques diminuent les chances d'obtenir des objets rares après les quelques premières boîtes pour inciter les joueurs à payer pour des loot boxes supplémentaires.
Star Wars Battlefront 2
De même, les jeux fournissent parfois des packs de démarrage ou une quantité fixe de monnaie dans le jeu afin que les utilisateurs puissent prendre cette première action sans avoir à dépenser beaucoup d'efforts ou d'argent. Par exemple, plusieurs jeux gratuits fournissent aux utilisateurs suffisamment de pièces pour effectuer leur premier achat sans avoir à dépenser de l'argent réel. En offrant cet incitatif et en facilitant la première action des joueurs, toute cette accumulation mène à l'étape suivante du modèle Hooked, la récompense variable.
Etape 3 : récompense variable
Vient ensuite l’étape de la récompense variable. Dans le modèle hooked, cette étape consiste à récompenser le joueur qui a effectué une action (pour rappel l’achat d’une loot box). Cette phase renforce l'action entreprise lors de la phase précédente.
Il y a un sentiment d’excitation, de peur et de stress face à l’ouverture d’une loot box. La variabilité qui accompagne les produits à succès fait en sorte que nous ne savons jamais à quoi nous attendre.
Et le délai évoqué plus tôt joue aussi dans ce sentiment de récompense variable. Au final, cette phase s’apparente typiquement au modèle d'une machine à sous et à la recherche de ce que vous allez gagner. Les machines à sous sont conçues pour fixer les joueurs en ralentissant les différents rouleaux à mesure que la fin d'un tour approche. Cette accumulation et cette anticipation font partie de l'attrait de la sensation d'ouvrir des boîtes avec des récompenses variables.
Les éditeurs se doivent de continuer à nourrir l'intérêt des joueurs et les inciter à acheter de nouvelles loot boxes. Cela nous amène à la phase suivante et finale du modèle Hooked : la phase d'investissement.
Etape 4 : investissement
L'étape finale du modèle Hooked est la phase d'investissement, au cours de laquelle les joueurs réalisent une action qui les rend plus susceptibles d'acheter une loot box à l'avenir. Cela rend les joueurs plus disposés à revenir sur le jeu car ils conçoivent eux-même le prochain déclencheur du modèle. En obtenant des items ou autres, ils améliorent ainsi le jeu ou l’expérience de jeu. Un préjugé psychologique appelé "escalade de l'engagement" aide à expliquer pourquoi les joueurs sont si réticents à abandonner un jeu suite à leur investissement antérieur. Parmi les exemples d'investissement qui augmentent la probabilité qu'un joueur continue à jouer, on peut citer :
- Le nombre d'heures enregistrées
- Le montant d'argent dépensé
- Le nombre d'amis sur le jeu
Pour prendre un exemple plus concret, je sais que j’aurai du mal à arrêter de jouer à League of Legends, tout simplement parce que j’ai obtenu de nombreux skins, que j’ai investi de l’argent dedans et que la majorité de mes amis jouent à ce jeu. Pareil pour Pokemon Go, bien que je n’ai pas investi d’argent dedans et que je m’y refuse, je ne peux pas le désinstaller pour le nombre de pokémon capturé et le temps que j’ai passé dessus (et que je passe encore dessus). Certains joueurs se sont même fixés d’eux-même des budgets mensuels pour acheter des loot boxes
Quelles limites pour les loot boxes ?
Parlons de là où tout a commencé : 17 novembre 2017, sortie du jeu Star Wars Battlefront 2.
Vous n’êtes pas sans savoir que c’est ce jeu qui est à l’origine des polémiques liées aux loot boxes. En effet, dans Star Wars Battlefront 2, vous ne vous contentiez pas d’acheter le jeu, non vous achetiez aussi des coffres à butin. Dans l'objectif de pouvoir obtenir de quoi vous permettre d’avancer convenablement dans le jeu. Comparé à un “casino en ligne”, il a été au centre de discussions politiques parce que des jeunes de moins de 21 ans jouent au jeu et font des achats dessus. Sauf que les jeux de hasards sont interdits aux moins de 21 ans aux Etats-Unis. Ainsi, le casino en ligne aux couleurs de Star Wars incitait les enfants à dépenser de l’argent pour qu’ils puissent avancer dans leur jeu favori. La législation pourrait considérer ces jeux comme des jeux d’argent et donc les interdire aux moins de 21 ans. En France, seuls certains acteurs ayant obtenus une licence peuvent proposer des jeux d’argent (comme le PMU, La Française des jeux, …) et l’obtention de cette licence est très encadrée. Ainsi, si les jeux contenant des loot boxes sont considérés comme des jeux d’argent, ceux-ci deviendraient alors illégaux. C’est pourquoi, dire que ces loot boxes sont comparables à des kinder surprises est assez risible. Puisque ces chocolats ne peuvent pas être interdit aux mineurs comme peuvent l’être les jeux d’argent et de hasard.
Mais cela peut engendrer d’autres dérives. Posséder beaucoup de skins (tenues cosmétiques changeant l’apparence d’un personnage ou d’items) peut attirer la convoitise et conduire à des dérives de la part des joueurs et notamment du vol de comptes et donc de données personnelles. Ces comptes sont ensuite malheureusement bien souvent revendus aux plus offrants. Je vous avais parlé de l’addiction aux loot boxes et bien c’est aussi une réalité. Tout comme pour des jeux d’argent, un joueur peut devenir addict. Il peut accumuler des dettes simplement pour le sentiment que procure l’ouverture d’un coffre à butin.
Quel est l’avenir de la monétisation, notamment celui des loot boxes ?
L’avenir de la monétisation, plus particulièrement des loot boxes semble très compromis. Il suffit de voir les articles récents pour s’en rendre rapidement compte. En Belgique, les loot boxes sont considérées comme étant des jeux de hasard. Il est demandé aux éditeurs de protéger les joueurs les plus jeunes, qui sont les plus vulnérables, sous peine d’obtenir une amende. C’est d’ailleurs pourquoi Nintendo a préféré retirer ses jeux Animal Crossing : Pocket Camp et Fire Emblems Heroes, les mécaniques impliquant de l’argent réel, introduites après le lancement, étant extrêmement intrusives et poussant fortement le joueur à sortir la carte bleue pour pouvoir avancer dans le jeu.
Dans les autres pays, le sujet est toujours en discussion et en plein débat. Faut-il réglementer davantage les loot boxes ? Faut-il les pénaliser ? Les supprimer ? Les encadrer ? De nombreuses questions se posent actuellement et l’avenir des loot boxes est plus qu’incertain. Ce qui est quelque part rassurant puisque cela peut faire émerger de nouveaux modes de microtransactions. Elles seraient alors plus éthique et respectueuse du compte bancaire des joueurs et de leurs parents.
Et vous, que pensez-vous des loot boxes ? Avez-vous un budget réservé à cela ? Avez-vous des idées concernant leur réglementation ? Dites nous tout dans les commentaires !