La mort et le jeu vidéo

La mort et le jeu vidéo

La mort et le jeu vidéo

Posté à l'origine le 06 décembre 2020, cet article est édité avec la vidéo qui lui est liée :


Elle peut prendre diverses formes dans le jeu vidéo. Incarnée par un personnage, tel Death dans la saga Darksiders, ou bien par l’ombre de la faucheuse prête à s'abattre sur vous à chaque recoin dans un Dark Souls par exemple. Vous l’aurez compris, on va parler d’une chose pas très joyeuse, mais indissociable du jeu vidéo, représentée et interprétée sous une multitude d’aspects : la mort.

Attention cet article contient du spoil concernant les jeux Red Dead Redemption 1 et 2, Final Fantasy VII (vidéo du spoil), Hotline Miami et Shadow of the Colossus

La mort, c’est quoi ?

Bon… par où commencer ?
Au sens médical, et dans les grandes lignes, c’est l’arrêt du fonctionnement d’un organisme vivant. Cela peut aussi être décliné au niveau cellulaire. Mais cela va au-delà de ça. La mort fascine, depuis toujours. Son aspect, ce qui l’entoure, ce qu’elle représente, ce qu’il y a après… L’être humain a conscience de la mort et cherche à percer son mystère depuis des millénaires. Les religions disposent chacune d’interprétations plus ou moins variées de la mort et de ce qui peut s'ensuivre. Elle est déterminée avant notre naissance selon le Coran et l’âme reçoit un jugement divin une fois séparée de son enveloppe charnelle ; cette notion de jugement se retrouve aussi dans la religion catholique. Dans le bouddhisme, la mort est le passage d’une vie à une autre, le concept de dieu et d’âme n’y étant pas reconnu. Beaucoup de philosophes ont partagé leur vision de cette dernière, tel Platon qui y voit une délivrance de l’âme. Épicure ne la craint pas quant à lui, car “la mort n’est rien”. Au contraire de Heidegger qui la relie entièrement à notre existence et à notre être, “Dès qu’un humain vient à la vie, déjà il est assez vieux pour mourir.”

En plus de nous fasciner, la mort est fantasmée et l’imaginaire de l’Homme a rapidement cherché à lui donner une représentation, qui s’avère être aujourd’hui celle de la grande faucheuse : silhouette souvent squelettique, éventuellement drapée d’un suaire et pratiquement toujours accompagnée de sa faux. Cette dernière peut aussi apparaître de manière immatérielle, comme une présence non palpable, une pensée ici à la Mort de la saga cinématographique Destination Finale.

Par rapport au jeu vidéo, le sujet de la mort y est intimement lié et y apparaît de manière très diverse. C’est ainsi que l’on va se pencher sur ces différentes utilisations et apparitions.


Malthael, l'ange de la mort (Diablo)

Mourir pour mieux recommencer

Dans la grande majorité des jeux vidéo, on contrôle un personnage, avec un système de points de vie, qui peut mourir s’il les perd entièrement. Que cela soit lors d’un combat, d’une chute, d’un manque de réactivité lors d’un QTE (Quick Time Event), etc. Dans ces cas-là, la partie reprend généralement au précédent point de contrôle, au début dudit combat ou du QTE. Le but est d’apprendre de ses erreurs ainsi que les mécaniques du jeu : les patterns d’un ennemi, un trou, un piège, une suite de touches à exécuter rapidement. La fréquence de cette mort dépend de plusieurs critères : le niveau de performance du joueur ou de la joueuse, la difficulté et la fourberie du jeu, la manière dont le jeu est construit et s’il incite à mourir volontairement. Ici, nous sommes dans la manière la plus simple et la plus commune dirons-nous dont est représentée la mort. Selon les jeux, elle peut donc être plus ou moins intelligemment exploitée. 

Ayant initié un genre à part entière, la saga des “Souls” (Demon’s Souls, Dark Souls, Bloodborne…) incorpore une vraie science d’apprentissage de la mort. Il est nécessaire de mourir afin de triompher du jeu et des adversaires. Généralement, ce ne sont pas des jeux très longs, mais leur difficulté et le besoin d’avancer en tâtonnant leur donne une première bonne durée de vie et surtout, un véritable sentiment de découverte et d’exploration, combiné à un level design appelant à l’observation. De plus, la mort est punitive et fait perdre ce qui permet au personnage de monter de niveau, augmentant la vigilance et la frustration de la défaite qui plus est. Dans un registre similaire, les genres du Rogue-like et du Rogue-lite rejoignent celui des Souls-like, en y incorporant une mécanique de jeu essentiellement basée sur la mort de son personnage.

Dans ces deux genres de jeux au nom très similaire, la mort est souvent significative de véritable Game Over, dans le sens où vous devez recommencer depuis le début, à chaque fois. La génération procédurale des niveaux et des événements fait partie intégrante du jeu afin d’éviter la monotonie, mais permet aussi de garder le joueur ou la joueuse dans une progression inconnue. On peut se reposer sur ses erreurs et ses acquis, à la manière d’un “Souls”, mais il est impossible de se conforter en anticipant parfaitement les situations. Le genre du Rogue-Like étant aujourd’hui très populaire et combiné à plusieurs autres genres (donnant naissance au Rogue-lite), de nombreux jeux y incorporent de nouvelles mécaniques et subtilités, souvent liées au Game Over. Cette mort s'apparentant au départ comme un retour à zéro devient alors nécessaire pour débloquer de nouveaux objets, de nouveaux niveaux, pour rencontrer de nouveaux personnages ou pour atteindre la véritable fin du jeu. Ainsi, la mort devient une mécanique de gameplay et de progression.


Dans Hades, à chaque nouvelle run, Zagreus commence sa remontée des enfer en sortant de la maison de son père

La mort comme outil de narration...

Au contraire des exemples cités ci-dessus, la mort d’un personnage peut aussi être dictée par le scénario. C’est ici que va notamment entrer l’importance de la mise en scène. Lorsqu’on voit un personnage mourir à plusieurs reprises durant une aventure, après que sa barre de vie se soit vidée, cela fait partie du jeu et n’impacte pas le déroulé de l’intrigue. Ce n’est pas voulu par le scénario. Il faut donc mettre en scène ledit personnage tout au long de l’aventure afin de créer un attachement émotionnel. Les Red Dead Redemption se sont par exemple fait un malin plaisir à faire mourir leur protagoniste à la fin de l’aventure. Encore plus surprenant, ces jeux étant en monde ouvert, comment imaginer voir son personnage mourir alors qu’on est censé pouvoir continuer l’exploration une fois l’histoire terminée. De plus, ici, on est aux commandes de John Marston (RDR 1) et d’Arthur Morgan (RDR 2) tout au long du récit, on s’est donc senti impliqué dans leurs actions et leurs péripéties. Pour le second opus, le fait de pouvoir décider du style capillaire, de la pilosité faciale d’Arthur et de l’habiller à notre convenance renforce l’attachement et le ressenti personnel lors de sa mort. Chaque joueur et joueuse n’incarne pas exactement le même Arthur Morgan. 

Il n’est pas nécessaire de contrôler directement un personnage pour être touché lors de son décès. L’un des exemples les plus marquants est la mort d’Aerith dans Final Fantasy VII. Le moment tragique arrive sans prévenir lors d’une séquence calme et touchante. Le joueur ou la joueuse est “trahi.e” par le jeu, qui fait mourir brutalement un personnage important et plein de tendresse. À noter d’ailleurs que c’est le personnage de Barret qui aurait pu mourir à la place d’Aerith dans les premières ébauches, cela aurait eu une autre saveur j’imagine. 

...et de gestion

Dans plusieurs itérations vidéoludiques, il vous est proposé d’être aux manettes de la Mort, ou de travailler étroitement avec elle. Dans Grim Fandango, l’intrigue se déroule dans le Huitième Monde, le Pays des Morts. Vous y incarnez Manuel Calavera dit Manny, un agent de voyage au Département des morts, chargé de vendre des offres de voyage et d’accompagner ses clients dans la traversée jusqu’au Neuvième Monde, où se trouve le repos éternel. Au cours de l’aventure, Manny va délivrer différentes formules de voyage à ses clients, permettant d’atteindre plus ou moins rapidement leur destination finale. D’ailleurs, incarner le gestionnaire des morts est le point commun de plusieurs productions. 


Grim Fandango

Le jeu vidéo Afterlife, édité par LucasArt (comme Grim Fandango), est un city-builder/god game dans lequel vous devez créer un paradis et un enfer. Vous êtes aux commandes du démiurge et il vous est chargé de construire l’infrastructure adéquate pour l’au-delà. À vous donc de mettre en chantier des routes, des centres de réincarnation, des zones de péchés et autres joyeusetés dans le but de recevoir une bonne paie à la fin de l’année. Car c’est votre boss, The Power That Be, qui évaluera en effet le montant de cette dernière. Et il faut croire que la Mort aime bien jouer le rôle de patron, car dans Peace, Death! vous incarnez le Faucheur, devant envoyer des clients en tout genre au paradis, en enfer ou au purgatoire. Vous êtes donc embauché par Mort au sein de l’entreprise Apocalypse Inc. dans laquelle les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse se font concurrence. Votre job : monter les échelons en exécutant les différentes tâches que l’on vous confie. Le monde des morts peut cependant paraître plus sympathique, ne vous inquiétez pas. C’est le cas avec le récent Spiritfarer où vous incarnez Stella, remplaçante de Charon dans le métier de passeur d’âme. Le but est d’embarquer sur la mer à la recherche d’esprits et d’exaucer leurs derniers souhaits avant de rejoindre l’au-delà. Ici, pas de pression et d’univers sombre, tout se passe dans la gaieté et l’empathie, au sein d’un monde coloré et rempli de mignonnerie. 

Comme quoi, chaque jeu est teinté d’une ambiance particulière et parfois d’un sens de l’humour aux petits oignons, avec pour dénominateur commun un même thème : la mort.


Peace, Death!

La mort comme exaltation

Parfois, il n’est pas nécessaire que la mort serve la narration ou soit une mécanique importante du gameplay et de la progression. Un jeu peut simplement prendre le parti de servir la mort et la violence sur un plateau, destiné au joueur ou à la joueuse. Dans ce cas-là, on joue plus pour se défouler. Mortal Kombat a fait toute sa notoriété sur ce principe de “violence gratuite”. Tout l’intérêt des combats, à l’époque du moins, était de finir sur les tonnes de Fatality exécutées par les divers combattants et diverses combattantes, toutes biens malsaines et gores à souhait. Dans la même veine, Doom s’est fait la réputation d’être un condensé de pure violence, où il faut tirer sur tout ce qui bouge, avec son lot de finish move et d'hémoglobine. Un constat encore plus frappant avec les derniers opus d’ailleurs. On peut aussi citer Wolfenstein, où le but est tout bonnement de se défouler en tuant des nazis, sur fond de scénario pas bien complexe (pour les premiers jeux surtout).

Certaines productions choisissent alors de mettre en évidence la violence meurtrière et donc la mort. La liberté du gameplay peut aussi amener à ce genre de violence dans un jeu qui n’y incite pas nécessairement, une pensée pour GTA... Cette récurrence de tuer dans les jeux vidéo est d’ailleurs très intéressante à analyser et quelques jeux arrivent à nous mettre face à nos actes, nous poussant à la réflexion. 

Pourquoi on tue dans autant de jeux ?

Tout d’abord, essayons de répondre à cette question. En règle générale, un jeu doit mettre le joueur ou la joueuse face à un challenge, qui peut engendrer un échec. C'est-à-dire que la progression doit être ponctuée par des barrières et la mort est une manière assez explicite de représenter cet échec face à ces obstacles. Cela vaut pour la mort de notre personnage. Mais lorsqu’on se penche sur la représentation de ces “barrières” en jeu, ce sont majoritairement des personnages qui nous attaquent. Inconsciemment, de notre côté, on va se défendre en les attaquant en retour dans le but de les éliminer. Cette mécanique résulte en partie des jeux d’arcades de l’époque, qui devaient être très simples et rapides à comprendre, la cause aux courtes sessions de jeu effectuées par beaucoup de monde. Tout cela est très bien détaillé par le chercheur Jesper Juul dans le documentaire Pixel Mort, présent ci-dessous. 

Comme expliqué précédemment, certains jeux nous amènent à réfléchir sur l’intérêt ou la conséquence de ces actes récurrents. C’est le cas d’Hotline Miami qui s’amuse à confronter le joueur ou la joueuse à ses actes, notamment à la fin du jeu lors d’une conversation téléphonique qui brise le quatrième mur, et nous questionne sur la violence que l’on a commise durant toute l’aventure. Comme l’analyse la narrative designer Léa Talbot dans le documentaire : finalement, le jeu nous met face à notre hypocrisie et on exécute nos actes sans avoir besoin de justificatifs appropriés.

Mais il n’est pas obligatoire de passer par une narration si explicite pour nous questionner. Dans Shadow of the Colossus, le principe est simple, vous devez tuer des colosses afin de libérer une puissance et délivrer (ou sauver ?) quelqu’un. Au début de l’aventure, sans se poser trop de questions, on enfourche notre cheval Agro, on se laisse guider par la lumière et en avant le massacre ! C’est au fur et à mesure que l’on va s’apercevoir de la mise en scène de la mort des colosses, toujours très tragique. Notre héros va également absorber une aura noire à chaque “victoire” et se métamorphoser petit à petit sous une forme démoniaque. Par conséquent, le jeu nous met face à nos actes et à notre cruauté. Pour peu que l’on se sente vraiment impliqué dans l’expérience, on en vient à ne plus vouloir tuer les colosses et à le faire par obligation et nécessité. Une grande partie de la force du jeu repose là-dessus, sur sa mise en scène. Ce qui est d’ailleurs une composante essentielle des jeux de Fumito Ueda, mais je m’égare.

Le thème de la mort est donc très récurrent dans le paysage vidéoludique, qu’elle concerne le récit, le gameplay ou les personnages. Cependant, cela n’empêche pas de trouver des jeux plus innocents, comme certains jeux narratifs, les jeux contemplatifs, ou les “Wholesome games”. Avec le temps, le média a su diversifier son approche de la mort, de sa provocation, de son intérêt et de sa conséquence. Il joue avec elle comme elle peut se jouer de nous, pour notre plus grand plaisir. 


Si vous souhaitez poursuivre la lecture sur le même thème, voici l’article de Joichiro qui s’est également attardé sur le sujet : réflexion sur la mort dans le jeu vidéo


Sources :

https://la-philosophie.com/philosophie-mort-definition
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mort
https://en.wikipedia.org/wiki/Afterlife_(video_game)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grim_Fandango
https://www.youtube.com/watch?v=-azFNwF6fa0&t=327s&ab_channel=LGR
https://www.youtube.com/watch?v=4dqhMZF2Zy0&list=WL&index=152&t=2s
https://www.youtube.com/watch?v=6QLI8LY4utY&list=WL&index=153
https://www.youtube.com/watch?v=15J_hzoZzSI&t=453s
https://gameher.fr/blog/la-mort-dans-le-jeu-video
https://www.gameher.fr/blog/le-roguelike

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Ylonith
Ylonith

Voyageur de mondes virtuels, passé par Midgar, Skellige et les terres d’Azeroth. Admirateur de jeux enchanteurs, et explorateur du multivers vidéoludique.